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Le Maroc
possède au début du XXème siècle
un important réseau urbain constitué de plus
de 30 médinas abritant 8% de la population marocaine.
Ces médinas - ces villes - présentaient en même
temps une grande homogénéité et des différences
notables.
Les principaux caractères communs étaient constitués
par :
• Une muraille d'enceinte.
• Un centre occupé par la mosquée principale
et par un réseau de commerces organisé en séquences
spécialisées.
• Une voirie primaire radioconcentrique et à caractère
commercial reliant le centre aux principales portes de la
ville.
• Des quartiers réservés à l'habitat
organisés selon des schémas en arbres (ramification
d'impasses) et disposant à leur entrée des principaux
équipements de la vie sociale (four, hammam, mosquée,
commerces quotidiens).
• Un tissu dense obtenu par la juxtaposition d'un module :
la maison traditionnelle éclairée et aérée
sur un patio central permettant des mitoyennetés sur
3 et parfois 4 faces.
• Un lien fort entre les entités sociales et les entités
physiques.
Par delà
ces ressemblances, chaque médina est cependant une
ville particulière par son acte de création,
les péripéties de son histoire, sa fonction
principale (politique, religieuse, commerciale, diplomatique),
sa taille (Azilah n'a que 4 hectares, Fès 280 hectares),
la topographie de son site ou ses couleurs dominantes (blanc,
jaune, ocre, bleu).
Dans
la 1ère partie du XXème siècle, les médinas
reçoivent les principaux équipements d'infrastructure
(égouts, électricité et éclairage
public, eau courante). Elles sont considérées
comme des tissus exceptionnels dont l'étude, la connaissance
et la sauvegarde sont nécessaires. La politique urbaine
mise en place sera axée sur : le respect de l'intégrité
des médinas, la création de villes nouvelles
en dehors de l'enceinte des tissus traditionnels, et une politique
active de sauvegarde qui va s'appuyer sur des textes juridiques.
Dès
1914 un texte de loi est promulgué visant la protection
des immeubles présentant un intérêt particulier
pour l'art ou pour l'histoire du Maroc. Ce
texte est transformé en 1945 et élargit la protection
aux villes anciennes et aux architectures régionales.
Sur ces bases juridiques, seront classés monuments
historiques les principaux équipements du tissu ancien
(murailles, portes de villes, medersas, mosquées),
puis seront protégés des sites urbains ou ruraux
remarquables.
Dans
la 1ère partie du XXème siècle, les médinas
reçoivent donc les principaux réseaux d'infrastructure
et font l'objet d'un effort de protection, mais leur statut
a changé. Elles étaient "La ville".
Elles ne sont plus que des quartiers, certes importants, mais
ayant perdu les équipements essentiels : ceux du pouvoir,
de l'économie dominante (banque, industrie), et de
la formation des nouvelles élites (école moderne,
lycée, université).
La 2ème
partie du XXème siècle va se caractériser
par des phénomènes inédits. Les citadins
aisés quittent les tissus anciens et sont remplacés
par des populations rurales souvent démunies. Tous
les espaces libres intra muros sont lotis et bâtis.
Les densités à l'hectare s'élèvent.
De 450 000 au début du siècle, les médinas
passent à 1,6 millions d’habitants en 1994. La vieille
maison traditionnelle, occupée désormais par
plusieurs familles est découpée et surélevée,
selon des techniques sans rapport avec les traditions constructives
locales. Mal entretenus, les bâtis se dégradent.
La concentration de population rend les équipements
et les services urbains insuffisants. Les médinas gardent
cependant un rôle économique important. Elles
deviennent des centres spécialisés pour l'artisanat
traditionnel et pour certaines formes de commerce et de service.
Oubliées
pendant une vingtaine d'années, les médinas
reviennent à l'ordre du jour au milieu des années
70 avec les travaux du schéma directeur de Fès.
Depuis, les pouvoirs publics ont multiplié les études
(environnementales, architecturales), fait établir
des plans d'aménagement (et de sauvegarde), entrepris
la restauration et la réhabilitation de murailles ou
de monuments historiques.
A Fès,
l'ADER (Agence de Dédensification et de Réhabilitation)
a mis au point et démarré l'exécution
d'un programme multiforme soutenu par la Banque mondiale et
comprenant notamment une aide à la réparation/réhabilitation
de logements en mauvais état, et des efforts pour l'amélioration
de l'environnement et du paysage urbain. Les actions de l'état
sont relayées par celles de la société
civile. Des mécènes participent à la
restauration de monuments et les associations pour la sauvegarde
du patrimoine se multiplient et font entendre leur voix parfois
avec succès.
L'intérêt
de la communauté internationale se renforce. Trois
médinas sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial
au cours des 10 dernières années, et de nombreux
financements internationaux participent à la remise
en état de bâtiments ou d'équipements
présentant un intérêt pour l'histoire
du pays.
Mais
tous ces efforts ne sont que partiellement satisfaisants,
d'autant qu'est apparu depuis une dizaine d'années
un phénomène nouveau : celui de l'intrusion
de l'hébergement touristique à l'intérieur
du tissu ancien. Amorcé à Marrakech par la transformation,
parfois intempestive, de maisons traditionnelles en maisons
d'hôtes pour touristes aisés, le processus semble
s'étendre à d'autres médinas (Essaouira,
Chefchaouen).
Aujourd'hui,
insalubrité, vétusté, dégradation
d'un côté, occupation du tissu ancien par le
tourisme et valorisation par l'inscription sur la liste du
patrimoine mondial par ailleurs rendent l'action urgente.
Il faut tout à la fois sauvegarder les médinas
dans la plénitude de leurs fonctions traditionnelles
(habitat, artisanat, commerce) et en faire un argument essentiel
pour le tourisme. Leur réhabilitation (non pas des
seuls monuments mais de la totalité des tissus) va
donc devenir essentielle au cours des prochaines années.
Il faut dès lors s'y préparer avec efficacité.
La réhabilitation suppose, bien sûr, des textes
juridiques, des modalités financières ou fiscales,
et des opérateurs spécialisés, mais également
des professionnels au profil adapté.
Entreprises,
B.E.T et architectes doivent se préparer à agir
dans un contexte nouveau. La réhabilitation posera
notamment des problèmes inédits aux architectes,
habitués depuis 50 ans à travailler sur du "neuf",
dans des extensions urbaines. L'intervention en médina
fera surgir des questions originales concernant tout à
la fois les matériaux et les techniques à utiliser,
la typologie des bâtis à promouvoir, les échelles
et les normes à respecter, la morphologie des espaces
urbains et les expressions architecturales à mettre
en oeuvre.
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