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Communiqué
du 11 mars 2003
Le village
d’Imilchil , situé à 200 km d’Errachidia, au
Sud-Est du Maroc et dont la notoriété dépasse
les frontières nationales, grâce à son
moussem de Tisli et Tislet, souffre, à l’instar de
toute la région, de l’isolement et la marginalisation,
à cause de considérations géographiques
et historiques, dont les événements qui ont
eu lieu dans la région et précisément,
à Imilchil en 1973. Isolement et marginalisation qui
se traduisent par l’absence des infrastructures les plus indispensables,
à savoir : eau potable, électricité,
équipements médicaux et spécialisations
sanitaires, revêtement de routes. Ce qui empêche
les habitants de jouir pleinement de leurs droits économiques
et sociaux et partant, de leurs droits culturels, politiques
et civils, stipulés dans la Constitution, les conventions
et les chartes des droits de l’Homme ; ce qui les expose aux
divers crimes économiques (corruption, pillage et détournement
de fonds publics, népotisme etc.) ; met leurs vies
en danger permanent et les relègue au rang des laissés
pour compte dans tout projet de développement. Depuis
1991, les habitants ne cessent de présenter leurs revendications
à tout responsable, tant national que régional,
qui daigne faire le déplacement, jusqu’à cette
petite partie oubliée de notre patrie. Jusqu’au 5 mars
dernier, ils n’ont eu droit qu’à des promesses et engagements
sans lendemain. Depuis le 6 mars, c’est à d’autres
traitements qu’ils auront désormais droit ; lesquels
ne leur sont pas pour autant inconnus : ils sont toujours
aussi présents, tout comme les souffrances et les malheurs
qu’ils ont occasionnés, il y a trente ans auparavant
-et continuent d’occasionner- aux habitants, dans la mémoire
et sur le corps collectif, toujours aussi meurtris de ceux-ci.
Ce 6
mars, ils organisèrent un sit-in devant le cercle administratif
et exigèrent des négociations directes et sérieuses,
au sujet de leurs revendications, avec le gouverneur en personne
et non avec la commission qui leur a été déléguée,
du fait que nombre de problèmes dont souffre le village
découlent d’abus, d’exactions et de corruption de plusieurs
de ses membres. Mais comme toujours, les priorités
et les soucis sécuritaires l’emportent dans cette région
où les libertés sont violemment réprimées,
vu les considérations géographiques et historiques
sus-citées. Les événements ont dégénéré
ce 6 mars. Les gendarmes arrêtèrent l’un des
manifestants, Belhacen Ali, un étudiant. Quand ces
derniers tentèrent de le libérer, les gendarmes
les réprimèrent violemment à coups de
matraques et tirèrent même des balles en l’air.
A la suite de quoi les manifestants, terriblement effrayés,
prirent aussitôt la fuite. A noter que le chef du cercle
administratif n’avait pas suivi les procédures légales
en vigueur, pour exiger le lever du sit-in. Il n’était
pas non plus, en tenue officielle à ce moment-là.
Le lendemain, 7 mars, les habitants reprirent courage et organisèrent
un second sit-in devant la gendarmerie, pour exiger la libération
de l’étudiant ; sit-in qu’ils levèrent aussitôt,
suite à la promesse de libération qu’ils reçurent.
Cette promesse s’est avérée, plus tard, être
une simple tactique des autorités locales pour gagner
du temps, en attendant les renforts qui arrivèrent
le jour même, assiégèrent le village et
semèrent la terreur. Samedi 8 mars, aux premières
heures du matin, les maisons et les lieux publics (café,
télé boutique) furent investis par les forces
de sécurité et 21 citoyens furent arbitrairement
arrêtés, dont certains n’avaient même pas
pris part au mouvement de contestation et étaient là
uniquement pour s’approvisionner au souk hebdomadaire. Les
biens et les vivres des habitants furent aussi détruits
et ravagés. A leur arrestation, ces citoyens subirent
des tortures et divers traitements dégradants et inhumains,
à la gendarmerie avant d’être transférés
à Errachidia. Ils furent même privés de
la nourriture que leurs familles leur apportaient. C’est ce
qui ressort des déclarations de certains d’entre eux
après leur libération, à la section de
l’Association Maroc aine des Droits Humains à
Errachidia, qui, dès qu’elle a eu vent des événements,
a intensifié ses contacts auprès des autorités,
pour plus d’informations sur les événements
et pour s’assurer du sort des victimes, ainsi qu’auprès
des familles de celles-ci, pour entendre leurs propres versions
des faits et apporter son soutien aux unes et aux autres.
Elle a, par la suite, établi un rapport sur les faits
et émis un communiqué où elle dénonce
la répression violente de la manifestation pacifique
des habitants, le siège et la terreur qui lui sont
imposés, la destruction de leurs biens, la détention
de nombre d’entre eux, ainsi que la torture et les traitements
inhumains qu’ils ont subis. Elle revendique aussi des autorités
la libération immédiate des citoyens détenus,
la fin de toute poursuite judiciaire contre eux, la levée
du siège sur Imilchil, la punition des véritables
responsables de ces fâcheux événements
et l’engagement de véritables et sérieuses négociations
avec les habitants, en vue de solutions complètes et
justes à leurs problèmes.
A Errachidia,
les détenus furent présentés, hier, lundi
10 mars, devant le Procureur du roi près le tribunal
de Première instance. Deux d’entre eux furent cependant,
libérés auparavant, bénéficiant
ainsi, d’une part, de leurs relations suspectes avec les autorités
à Imilchil et d’autre part, de l’intercession de certains
députés locaux, après avoir, toutefois,
accepté de témoigner contre les autres détenus.
A vingt heures de ce même jour, dix de ces citoyens
comparurent de façon exceptionnelle, devant le tribunal
de première instance ; quatre d’entre eux, en état
d’arrestation et six en état de liberté provisoire.
Quant aux autres, ils furent relâchés quelques
minutes auparavant.
Les chefs
d’accusation qui pèsent sur les détenus sont
: l’attroupement non-armé, l’injure publique et l’agression
contre un fonctionnaire en exercice, allusion faite au gendarme
blessé, pendant les événements, par une
pierre qui lui aurait été jetée, selon
certaines victimes, par l’un des membres de la commission
sus-citée, puisque selon ces victimes, la manifestation
était purement pacifique ; en outre, aucun des manifestants
n’avait eu l’occasion d’agir, l’intervention des gendarmes
ayant aussi brusque que brutale. La Cour a rejeté la
demande de liberté provisoire présentée
par la défense, Me Hamidi.
Aujourd’hui
encore, le village continue d’être assiégé
; les biens et les vivres continuent aussi, d’être détruits
et saccagés et les habitants vivent dans la terreur,
confinés chez eux - qui n’est plus chez eux, puisque
les maisons continuent d’être investies à tout
moment, par les forces -, ou fuyant sur les monts voisins
ou vers les villes voisines, là où ils ne sont
pas plus en sécurité, du fait qu’ils sont partout
et étroitement recherchés, comme s’ils étaient
de dangereux criminels, ou plutôt de terribles terroristes.
Tout cela pour avoir, pacifiquement, réclamé
des droits tellement rudimentaires, et tellement insuffisants
pour assurer les moindres exigences du droit à une
vie digne ; ce droit qui est refusé à l’ensemble
des habitants de cette région et encore plus à
ceux d’Imilchil et ce, depuis plus de trente ans, en vertu
d’un châtiment aussi vil que collectif.
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