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LE MUSÉE
DU JUDAÏSME MAROCAIN
Quartier
de l'Oasis, Casablanca. C'est là qu'est situé
le musée du judaïsme, dans une ruelle on ne peut
plus anodine. À l'entrée de la ruelle, une estafette
est garée, presque tous les jours, et devant la villa
– un ancien orphelinat -, protégée par un mur
blanc, un policier et un mokhazni montent la garde 24h sur
24h. Le musée du judaïsme, on l'a compris, est
sous haute surveillance depuis les attentats du 16 mai. À
part une petite enseigne sur laquelle est écrit le
mot "musée", rien n'indique qu'ici sont exposés
des trésors de la culture juive marocaine. Un souci
de discrétion que Simon Lévy, directeur du musée,
explique d'abord par une boutade : "Quand nous avons
créé le musée, c'était le seul
de la ville, pas besoin alors de spécifier que c'est
un musée du judaïsme". Pourquoi alors autant
de mesures de sécurité ? Peur d'éventuelles
agressions antisémites ? Des "barbus de l'école
d'à côté" ? De choquer la majorité
? Certainement un peu de tout cela, ce qui explique pourquoi
le musée du judaïsme n'a pas pignon sur rue :
"Nous avons ici des trésors d'une culture commune.
Ai-je le droit de les mettre en danger ?". Tout est alors
dit dans les propos de Simon Lévy.
Pourtant, c'est un pan du patrimoine marocain que le musée
contient. Une culture et un mode de vie marocains, voilà
ce que le musée s'est donné comme objectif de
montrer : "Nous recevons souvent des élèves
d'écoles marocaines. Des enfants qui ne connaissent
pas cette partie de l'histoire de leur pays, parce qu'elle
est absente de leurs manuels. En découvrant la culture
juive marocaine, ils tombent des nues. Tout ce qu'ils savent
du juif, c'est que c'est celui qui tient une arme et qui tire
sur les Palestiniens", commente Simon Lévy.
C'est en 1996 que le musée du judaïsme entame
ses premières activités et il faudra alors attendre
deux ans avant qu'il n'accueille sa première grande
exposition sur Célia Bengio qui, au même endroit
auparavant, avait créé un orphelinat : "C'était
une volonté de la communauté juive de Casablanca
et de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain,
celle de préserver ce qu'il en reste". L'idée,
pourtant, germait déjà depuis 1991. À
la création de la fondation, les choses vont aller
plus vite. Celle-ci a, entre autres objectifs, l'archivage,
la restauration des sites et la gestion du musée. Et
en moins de dix ans d'existence, la fondation est loin d'avoir
chômé : pas moins de sept synagogues ont été
restaurées, dont celle de Ben Danan à Fès,
Ben Gualid à Tétouan, Nahon à Tanger,
et d'autres à Ifrane dans l'Anti-Atlas, à Arazan
et à Ighil'N'ogho dans le Souss. Quant au musée,
Simon Lévy écrit dans La Méditerranée
des Juifs, exodes et enracinements : "Il (le musée)
récupère tout ce qu'il peut, restaure, expose
objets, photos patrimoniales, tableaux et documents écrits,
sonores ou vidéos (…)". Quelles sont les pièces
maîtresses du musée ? D'abord les objets de culte,
véritables joyaux de l'artisanat judéo-marocain
: des sépharim (rouleaux de la Torah), des hanukiot
(chandeliers allumés pendant les huit jours de la fête
de hanuka), des parokhet (étuis en velours et fil doré
qui recouvrent les rouleaux de la Torah), des tallit (châles
de prières), des sacs en velours de bar-mitsva, autant
d'objets qui rappellent que "non, il n'y a pas que des
musulmans au Maroc". Ces objets, pour la plupart, ont
été fabriqués par des artisans marocains.
Dans une autre salle du musée sont exposés des
objets de la vie quotidienne : bijoux, parures, costumes,
caftans : "C'est là où on se rend compte
que la culture est commune. Si l'on prend l'exemple des bijoux,
ornés de motifs berbères, la plupart ont été
faits par des juifs marocains", explique Zhor Rehihil,
conservatrice du musée. La fierté du musée
reste néanmoins les deux synagogues reconstituées,
l'une datant du 18e siècle (la synagogue verte de Meknès),
l'autre de 1935 (Pariente de Larache) : "Le mobilier
des deux synagogues est d'origine. Le récupérer
était la seule solution de le préserver",
commente Zhor.
Reste que la plupart des objets présentés au
musée datent du début du siècle. À
cette remarque, Simon Lévy avance plusieurs explications
: "Certes, les juifs ont deux mille ans d'histoire au
Maroc, mais il ne faut pas oublier que de manière générale,
il reste très peu de traces du Maroc d'avant l'arrivée
des Arabes. Par ailleurs, la population à l'époque
était très mobile et ne laissait rien derrière
elle. Il ne faut pas oublier non plus de prendre en considération
le pillage colonial et touristique. Autre facteur, la dhimma
(loi qui mettaient les juifs sous protection du sultan en
contrepartie d'un impôt, la jizia) avait des côtés
positifs, mais aussi des côtés limitatifs. Les
juifs avaient une attitude de modestie et de discrétion
face à la religion dominante. À titre d'exemple,
beaucoup de synagogues étaient dans les maisons de
particuliers", souligne Simon Lévy. Par ailleurs,
un autre facteur déterminant entre en jeu : le contexte
international (Proche-Orient, Irak, montée de l'islamisme)
a accéléré le processus d'exil, les départs
de la communauté juive se sont ainsi succédés,
celle-ci emportant avec elle des pans de son histoire : "D'où
la difficulté pour nous de rassembler des pièces
pour le musée. Celles qui sont là proviennent
de dons ou d'achats auprès de la communauté
juive au Maroc, d'autres sont récupérées
en dehors du pays". Reste à savoir qui visite
le musée du judaïsme. Des touristes - juifs ou
pas -, des jeunes, des membres de la communauté juive
marocaine, des chercheurs et des classes d'écoles.
Des objets de culte, d'autres de la vie quotidienne, une exposition
photo des synagogues au Maroc… Que cache d'autre le musée
du judaïsme ? Que disent ses archives ? Que le Maroc
a toujours eu l'attitude idéale à l'égard
d'une partie, même minoritaire, de sa population ? Peut-être.
Qu'il y a eu des pillages, des destructions de synagogues,
une ghettoïsation de la communauté juive ? Que
face à l'antisémitisme ambiant, bon nombre de
juifs ont préféré quitter leur terre
natale ? C'est ce qu'on ne nous dira pas au musée.
Sauf que voilà. On ne peut pas s'empêcher de
sentir un malaise dès qu'on quitte le lieu et de se
rendre compte que beaucoup de non-dits entourent la question
de la culture judéo-marocaine. Et que la vraie bataille
du musée n'est pas de montrer, mais de protéger
le peu qui reste.
Histoire
: État et culture judéo-marocaine
Au Maroc, des pièces maîtresses de la culture
judéo-marocaine figurent au musée du judaïsme,
mais également dans des musées à Fès
ou encore à Marrakech, faisant partie intégrante
du patrimoine marocain. Que fait l'État marocain pour
promouvoir la culture juive marocaine ? Autant qu'il en a
fait pour la culture berbère : c'est-à-dire
pas grand chose. À part reconnaître la Fondation
du patrimoine culturel judéo-marocain d'utilité
publique et de classer la synagogue Danan de Fès comme
monument historique. Dans les manuels scolaires et les livres
d'histoire, rien n'est dit sur l'apport civilisationnel des
juifs du Maroc et pour des générations entières
"les Marocains sont tous musulmans". Résultat
: une histoire tronquée et "parfois, là
même où il y a cohabitation, le voisin juif marocain
est considéré avec tous les égards, comme
une sorte d'Européen, auquel on répond en français,
même s'il s'adresse à vous en arabe…", écrira
Simon Lévy dans Essais d'histoire et de civilisation
judéo-marocaine. Un gâchis.
source:
Tel Quel
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